« Si vous ne planifiez pas, vous planifiez l’échec. »
Benjamin Franklin ne s’adressait pas spécifiquement aux fondateurs de start-up en prononçant ces mots (à notre connaissance), mais il aurait pu. Les fondateurs, et plus encore ceux du secteur crypto, sont confrontés à de multiples facteurs sur lesquels ils n’ont aucune prise : la volatilité des marchés, des réglementations en perpétuelle évolution, et des attentes toujours plus élevées.
C’est pour cela qu’il est si important de concentrer ses efforts sur les leviers qu’on maîtrise, d’où l’intérêt des plans d’exploitation. Moins séduisant que d’autres sujets, un plan d’exploitation reste pourtant l’un des outils les plus efficaces et les plus pilotables à votre disposition : c’est l’instrument qui vous permet de transformer votre vision en dynamique, sans mettre à mal votre trésorerie ni épuiser vos équipes.
Dans l’absolu, un plan d’exploitation repose sur une idée simple : il décrit l’ensemble de ce que réalise votre entreprise. Quelles tâches existent ? Qui les prend en charge ? Vers quels objectifs s’orientent-elles ? Quel est leur coût ? Selon quels critères mesurez-vous les résultats ? Les réponses, elles, sont souvent complexes, ce qui justifie toute l’importance de structurer et formaliser un plan clair.
Même si vous n’avez jamais bâti de plan d’exploitation pour une société, il est probable que vous l’ayez déjà fait pour un projet personnel. Pour préparer un marathon, par exemple, vous devez un plan d’entraînement structuré pour les mois qui précèdent la course. Quelle durée pour chaque sortie ? Quand, et de combien, augmenter l’intensité ? Quels itinéraires ? Comment organiser récupération et repos ? Comment gérer une blessure ? Dans le monde de l’entreprise, le « jour J » peut être un lancement de produit, une IPO ou tout autre objectif majeur — les principes restent identiques.
Néanmoins, ne confondez pas plan d’exploitation et plan stratégique. Le plan stratégique définit la perspective globale et la vision à présenter aux investisseurs. Le plan d’exploitation, lui, détaille le passage à l’action : il transforme la stratégie en tâches concrètes, en chiffrant les ressources humaines, les budgets et les calendriers. Pour assurer la viabilité et la robustesse d’une entreprise, il faut absolument les deux types de planification.
Voyons à présent les points essentiels à intégrer à votre plan d’exploitation.
Démarrez en vous appuyant sur quatre piliers opérationnels : les ressources humaines (Qui sera responsable ?), la temporalité (À quelle échéance chaque tâche sera-t-elle menée ?), le coût (Quel budget allouer ?), et l’évaluation (Quels indicateurs pour mesurer l’avancement ?).
Votre plan d’exploitation évoluera nécessairement au fil du temps, inutile donc de viser la perfection dès la première ébauche. Les bonnes pratiques ne manquent pas — cadres méthodologiques multiples, cabinets de conseil onéreux — mais le travail fondamental consiste à clarifier qui s’occupe de quoi dans l’entreprise, ce que vous pouvez faire vous-même avant d’y apporter des perfectionnements ultérieurs. Pour l’instant, accordez la priorité à la clarté et à une organisation structurée pour vos objectifs en fonction d’une période donnée.
Essentiel : intégrez des arbitrages dans votre plan. L’entreprise ne peut tout faire simultanément ; les choix sont donc naturels — et doivent rester exigeants, suscitant des débats utiles entre dirigeants sur les priorités et les renoncements. Quels que soient vos succès, la question des arbitrages sera toujours présente, et la contrainte, source de meilleures décisions.
Trois erreurs fréquentes
En préparant votre plan d’exploitation, prenez garde à ces trois pièges classiques.
Ne tombez pas dans l’excès d’optimisme quant aux délais et résultats espérés. Le contexte évolue sans relâche, votre plan doit préserver son agilité. Gare aux dépendances : Lancer le produit A pour pouvoir déployer le produit B, Recruter deux ingénieurs pour développer telle fonctionnalité, ou tabler sur une progression du chiffre d’affaires si l’on recrute un responsable marketing.
Ajouter ces dépendances dans un plan semble naturel, mais elles deviennent problématiques si certains jalons ne sont pas atteints. Un retard dans le recrutement des deux ingénieurs peut entraîner un dépassement de délai pour la fonctionnalité attendue. Votre plan peut porter une ambition optimiste, mais doit surtout rester ancré dans le réalisme. Préservez-vous des marges de manœuvre pour pivoter face aux imprévus — et adaptez vos calendriers en conséquence.
Ne cherchez pas à tout gérer de front. Les fondateurs fourmillent d’idées, mais le temps et les ressources sont limités, et vouloir tout mener de front pèse sur la trésorerie et la concentration de l’équipe.
Adoptez plutôt une logique d’enchaînement stratégique : réfléchissez aux opportunités ou compétences pouvant générer d’autres leviers. Le lancement de tel produit peut attirer de nouveaux utilisateurs et ainsi ouvrir la voie à de nouvelles exploitations. Un investissement technologique peut créer des perspectives de revenus inédites. Priorisez l’ordre des actions à conduire, et répartissez judicieusement temps et ressources.
La réalité est forcément plus complexe que le plan. Le fondateur a, de par son expérience, une perception fine des opportunités liées à son produit. Il sera tenté d’en poursuivre plusieurs, séduit tant par la taille de marché que par la nécessité d’ouvrir plusieurs voies si le produit cœur n’avance pas assez vite. Mais une petite équipe n’excelle que si elle focalise ses ressources sur un seul objectif à la fois. Diluer son attention paraît séduisant mais se solde le plus souvent par une exécution mitigée sur l’essentiel.
Pour vérifier la concentration de l’entreprise, posez-vous deux questions : Quelle est la priorité absolue du moment ? Sur quels sujets les équipes consacrent-elles la majeure partie de leur temps ? Si les réponses ne concordent pas, il y a un problème à résoudre.
Votre entreprise doit s’appuyer sur des indicateurs mesurables de succès. Le plus brillant des plans d’exploitation est inutile si vous ne pouvez suivre vos réalisations : sans système de mesure, le plan n’a aucune valeur. Pourquoi ? Faute d’indicateurs, vous ne percevrez jamais l’échec et serez incapable de vous adapter en cas de difficulté. Les métriques peuvent rester simples ; un code couleur vert/orange/rouge suffit parfois. Mais elles sont indispensables.
Gardez en tête : vous façonnez le comportement des équipes via ce que vous mesurez et récompensez. Vérifiez que vos indicateurs encouragent effectivement les bons comportements. À titre d’exemple, privilégiez une incitation fondée sur les résultats obtenus plutôt que sur le volume horaire fourni.
Le budget constitue un axe structurant de tout plan d’exploitation : il doit répondre à la question « Quel est le coût global de ce dispositif ? » — quelques repères s’imposent donc à tout fondateur.
La masse salariale représente généralement le premier poste de dépense des entreprises. Ce n’est pas universel, mais cela reste un bon principe, d’autant que les fondateurs sous-estiment souvent les coûts réels d’une embauche. Il ne s’agit pas uniquement des salaires, avantages et charges ; il faut intégrer matériel, logiciels, licences, déplacements et tout ce dont les collaborateurs ont besoin. Bon nombre de ces dépenses augmentent linéairement avec les effectifs — modélisez-les comme telles.
Dans le même esprit, pensez à budgéter l’equity au même titre que la trésorerie. La gestion du capital social justifierait à elle seule un article, mais lorsque vous préparez votre plan de recrutement, il importe de prévoir les attributions d’equity afférentes. Si vous distribuez des tokens à vos salariés, appliquez la même logique. L’essentiel est d’ajuster la politique de rémunération de façon globale et raisonnée. Les erreurs initiales se paient souvent longtemps après.
Séparez charges fixes et variables pour mieux saisir votre agilité financière. Il est vital de connaître les rubriques du budget que vous pouvez ajuster — ou non. Si vous deviez par exemple réduire les dépenses de 30 % la semaine prochaine, sauriez-vous où intervenir ? Ou, dans l’autre sens, en cas d’accélération de l’activité, où investir prioritairement ? Ce diagnostic est moins aisé dans une start-up, mais plus il sera précis, plus vos arbitrages deviendront naturels.
Conseil supplémentaire : veillez à préserver votre souplesse en négociant avec les prestataires pour limiter au maximum les contrats pluriannuels.
La planification par scénarios est également une alliée précieuse. Aucun budget ne peut être exact à 100 % : la question est juste de savoir à quel point il peut dévier. Cela reste vrai même dans les grandes entreprises, tant les inconnues sont nombreuses. Plutôt que de tout miser sur un futur idéal, utilisez la planification de scénarios pour appréhender divers avenirs possibles et attribuez-leur une probabilité et un intervalle de confiance. Quels éléments inattendus pourraient vous impacter ? Quels changements déstabiliseraient votre modèle ? Face à l’incertitude réglementaire, par exemple, que deviendrait l’entreprise selon différents scénarios ? Considérez toujours le budget comme un outil d’apprentissage et de pilotage pour structurer opportunités et incertitudes.
Ne descendez jamais sous six mois de trésorerie. Se retrouver à court de liquidités n’est jamais anodin, mais les fondateurs découvrent souvent le problème trop tard. Imaginez une entreprise avec deux ans de runway mais sans aucun pilotage précis : à la fin de l’exercice, vous réalisez avoir recruté cinq personnes de plus que prévu, tout en prenant six mois de retard sur le produit. Résultat, il ne vous reste que six mois de trésorerie. Si vous ne surveillez pas activement votre cash burn, toute votre énergie sera absorbée par la recherche de nouveaux financements ou la réduction des coûts. Même en obtenant des fonds supplémentaires, la finalisation est souvent plus longue qu’escompté, avec des honoraires juridiques qui s’ajoutent — sans compter que votre marge de négociation s’amenuise à mesure que la trésorerie baisse.
La clé pour éviter de tels écueils, c’est de piloter soi-même son budget. Ne déléguez pas l’intégralité de la responsabilité, même si vous mandatez votre équipe pour l’exécution pratique. Vous devez impérativement, chaque mois, comparer cash burn prévu et réalisé. Un écart notable implique-t-il une question à se poser, ou une correction à apporter ? Avez-vous mal anticipé certains postes, ou s’agit-il d’un événement isolé ?
Un instrument utile à ce titre : le « budget base zéro ». Beaucoup d’entreprises préparent le budget annuel en appliquant simplement ±10 % au budget en cours. Cette facilité décourage la réflexion critique sur les besoins réels actuels. Au contraire, le budget base zéro oblige à repartir de zéro et à justifier chaque dépense prévue pour l’année à venir. Ce dispositif cible précisément les moyens là où l’entreprise en a actuellement besoin.
Un point sur la gestion de trésorerie, enjeu clé pour les fondateurs crypto : il est judicieux de définir une politique d’investissement qui encadre la gestion du trésor. La tolérance au risque dépend souvent de la durée de votre runway, mais la priorité absolue reste la préservation du capital.
Il n’existe pas de méthode unique pour bâtir votre plan d’exploitation. L’important est que la structure retenue vous permette de répondre aux questions fondamentales : qui fait quoi, pour quand, à quel coût, et selon quels indicateurs ?
Avant de choisir une matrice, commencez par identifier votre mode opératoire, car c’est ce mode qui orientera vos priorités. Quelques questions à se poser :
Aurez-vous besoin, à terme, de lever de nouveaux fonds ?
La réponse est souvent « oui », car la majorité des start-up développées avec un financement VC mènent plusieurs tours de table. Il existe cependant des exceptions. Si votre structure est déjà profitable, c’est un atout : un plan d’exploitation reste indispensable, même si le financement n’en est plus le principal enjeu. Si ce n’est pas le cas, poursuivez votre réflexion.
Votre runway est-il supérieur ou inférieur à 12 mois ?
L’idée centrale ici : si votre trésorerie assure plus de 12 mois, la levée de fonds n’est probablement pas une priorité pour cette année. La priorité pourrait plutôt être le développement produit ou le recrutement. Mais si ce seuil n’est pas atteint, il faut inscrire la levée de fonds, la réduction de coûts ou l’exploration de partenariats stratégiques/investissements dans le plan — voire tout à la fois. Penchez-vous également sur la structure de vos dépenses pour en optimiser l’efficacité.
3. Si vous devez lever des fonds, quels jalons devez-vous atteindre pour convaincre ?
Il s’agira d’identifier les milestones à franchir pour obtenir la confiance des investisseurs lors du prochain tour. Ces jalons varient selon l’activité et la nature du tour : échangez justement avec vos investisseurs. Vous imaginez peut-être qu’un lancement de produit suffira, ils veulent sans doute voir un product-market fit avéré.
Puis, interrogez-vous sur les ressources à mobiliser pour atteindre ces objectifs. Quelles embauches prévoir ? Quelles étapes intermédiaires ? Quel délai ? Construisez une simulation budgétaire — vos outils financiers couvrent-ils tous les besoins ? Si non, identifiez les leviers à actionner pour rééquilibrer.
Le fait de réorganiser la séquence des actions peut-il faciliter les choses ? Faut-il modifier l’ordre des priorités actuelles ?
Une fois ces ressources calibrées, mesurez la durée de runway additionnelle que leur mobilisation permet. Demandez-vous : cette période est-elle suffisante au regard de la trésorerie disponible ? Si oui, vous pouvez avancer sereinement ; sinon, il faut ajuster le plan, en revoyant embauches, investissements ou priorités.
Enfin, définissez des indicateurs pour suivre l’avancement du plan : c’est la régularité du suivi qui garantit sa pertinence.
Le tableau ci-après permet de poser les grandes lignes de vos objectifs opérationnels. Il est souvent judicieux de commencer par les objectifs annuels, puis de les décliner par trimestre, par fonction, voire par collaborateur selon la taille de votre société. L’essentiel est de consigner les idées noir sur blanc, car garder tout le plan en tête multiplie le risque d’omissions.
Exemple d’un système de suivi simple : des indicateurs rouge/orange/vert, à discuter lors d’une réunion hebdomadaire de direction, pour identifier d’un coup d’œil les axes qui avancent, ceux qui nécessitent une vigilance accrue. Dans ce cas concret, le produit est sous contrôle, le marketing a connu un souci léger mais sans gravité, et l’ingénierie requiert une attention particulière. L’objectif, ici, est de privilégier des outils de suivi et d’imputabilité simples et efficaces.
Définir un plan d’exploitation pour votre entreprise est une étape stratégique — ne la compliquez pas inutilement. Privilégiez la substance à la forme, et assurez-vous d’être capable de répondre à trois questions majeures : qui fait quoi, pour quand, et à quel coût. Vous disposerez alors d’un référentiel pour évaluer la performance et la dynamique de votre entreprise au regard des objectifs fixés. Et gardez en permanence un œil sur votre runway.
Emily Westerhold est associée de l’équipe crypto, experte en finance et conseil opérationnel. Avant de rejoindre Andreessen Horowitz, elle a occupé le poste de CFO de VSCO pendant 7 ans, participant activement à la structuration et à la croissance de l’entreprise, et siège encore à son conseil d’administration. Elle a auparavant travaillé dans différents postes de finance et de comptabilité, débutant chez PwC.
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